vendredi 24 décembre 2010

Bonnes fêtes de fin d'année à Sivanathan !

Le prochain cercle de silence de Strasbourg aura lieu jeudi 30 décembre 2010 à 18 heures, Place Kléber.

Le 30 novembre dernier, nous étions réunis comme chaque mois afin de protester contre la criminalisation des personnes démunies de papiers. Ce même jour, un jeune garçon complètement perdu arrivait en gare de Strasbourg. La Police des Frontières qui ratisse quasiment en permanence la gare ne manque pas de repérer son désarroi et va très vite s’occuper de lui : il n’a pas de papiers et il se retrouve donc enfermé au Centre de Rétention de Geispolsheim.

Il explique qu’il voudrait juste demander l’asile parce que la moitié de sa famille a déjà été assassinée et que lui-même a été détenu et torturé durant deux mois. Il est Tamoul et a fui précipitamment son pays, le Sri-Lanka. Il s’appelle Sivanathan et il a juste 18 ans. Alors, on le conduit, menotté, au Tribunal Administratif de Strasbourg… qui rejette son recours contre l’Arrêté de Reconduite à la Frontière.

Il retourne donc au Centre de Rétention où il peut néanmoins saisir l’OFPRA, l’Office de Protection des Réfugiés. Quelques jours plus tard, on l’emmène à Paris, toujours menotté et escorté par des gendarmes, pour s’expliquer de vive voix. Sachant que si l’OFPRA rejette sa demande, on pourra l’expulser. Sous l’emprise de la panique, il évoque dans des « termes confus et décousus » selon les termes de l’OFPRA : sa sœur disparue dont on a retrouvé le corps mutilé, son beau-frère dont on n’a jamais retrouvé le corps, son autre sœur vivante mais anéantie par un viol collectif, son frère qui n’a plus de bras et aussi sa propre détention durant deux mois dans un camp d’internement, les tortures dont il ne sait pas parler mais dont son corps garde les traces muettes, sa libération et ses parents qui le font partir à tout prix pour ne pas perdre un enfant de plus…

Le rejet de l’OFPRA tombe dès le lendemain et ce même jour, les gendarmes veulent à nouveau le conduire à Paris, mais cette fois-ci au consulat du Sri-Lanka pour obtenir le laissez-passer permettant de le renvoyer. La force du désespoir est telle qu’il refuse d’embarquer dans l’avion. Le lendemain, il fait une requête à la Cour Européenne des Droits de l’Homme afin de suspendre son expulsion en disant qu’il a peur d’être à nouveau torturé et de mourir.

Il attend la réponse quand le lendemain, les gendarmes veulent à nouveau l’emmener au consulat du Sri-Lanka. Impossible : il se débat à nouveau, personne ne comprend sa langue mais il faut être sourd pour ne pas entendre qu’il s’agit d’appels au secours, de cris de terreur. Néanmoins, la Préfecture engage une procédure judiciaire auprès du Tribunal de Grande Instance pour ce double refus de se plier à la mesure d’éloignement qui le frappe.

Enfin ! le lendemain, la Cour Européenne des Droits de l’Homme suspend son exécution en se fondant sur l’article 3 du « risque de torture et de traitement inhumain et dégradant ». L’histoire devrait s’arrêter là. Selon toute vraisemblance, il devait être libéré puisque la rétention ne s’avérait plus nécessaire et il pouvait ainsi faire son recours devant la Cour Nationale du Droit d’Asile plus sereinement en ayant le temps de rassembler des preuves quant aux membres de sa famille déjà décimée et aussi demander une expertise médicale de ses traces de torture.

Mais contre tout entendement, au lieu de le libérer, le Juge des Libertés et de la Détention décide de prolonger son enfermement le temps d’attendre la décision du Tribunal de Grande Instance. L’avocate plaide en disant que ces refus d’embarquement ne sauraient être considérés comme un délit puisqu’il s’agissait de sauver sa vie, ce dont la Cour Européenne des Droits de l’Homme a confirmé le risque. Mais contre tout entendement, ce tribunal le condamne à un mois de prison ferme. A cette heure, il est donc emprisonné à la Maison d’Arrêt de Strasbourg.

C’est invraisemblable mais vrai : la surdité et l’absurdité de la politique de l’enfermement et de l’expulsion qui régit le système administratif et judiciaire actuel ne permet plus d’entendre Sivanathan. En attendant, il nous dit que peu lui importe, il peut bien rester emprisonné 6 mois, 1 an ou bien davantage « pourvu qu’on ne me renvoie pas entre les mains des tortionnaires que je cherche à fuir ». La fête quoi !

Oui là bas c’est bien pire. Ici, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, saisie en urgence, lui aura permis d’être protégé provisoirement… derrière les barreaux d’une de nos prisons surpeuplée. Alors bonne fêtes de fin d’année Sivanathan !

Le 13 décembre 2010, alors que Sivanathan était en proie à la torture de l’attente ou plus précisément à l’attente de la torture, le Ministre de l’Intérieur réunissait l’ensemble des préfets pour les appeler à « amplifier les expulsions d’étrangers en situation irrégulière pour atteindre l’objectif 2010 de 28 000 reconduites à la frontière » en soulignant qu’il veillera personnellement à leurs résultats car « cette année, seules 25 511 reconduites avaient été exécutées, soit une diminution de 7% par rapport à 2009 ».

PS : le 4 janvier 2011, 17h30-19 heures, Librairie Kléber, venez nombreux et invitez vos amis à la lecture publique des « Chroniques de rétention 2008/2010 » écrites par les intervenants de la CIMADE dans les centres de rétention (Editions Solin/Actes Sud) afin que l’on ne puisse pas dire que l’on ne savait pas. C’est le sujet de ces chroniques comme c’est le sujet des cercles de silence.


Mail : cercledesilence.strasbourg@gmail.com

Site : humilité.fr

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