mardi 27 juillet 2010

Cercle du silence vendredi 30 juillet 2010

Le prochain cercle de silence de Strasbourg aura lieu

vendredi 30 juillet 2010,

Place Kléber à 18 heures,

afin de manifester notre refus d’une politique de criminalisation des personnes démunies de papiers.

Il y a un an, Anaït nous relatait en quelques phrases vingt ans d’errance, de vie traquée et de tragédies qui ont trouvé leur réédition chez nous où son fils lui a été arraché.

« A mon arrivée à Strasbourg, j’ai retrouvé mon fils aîné et mon mari dont j’avais été séparée depuis plus de deux ans. Mais à peine un mois après nos retrouvailles, mon mari et mon fils ont été arrêtés par la police et enfermés au centre de rétention de Geispolsheim. Mon fils a été renvoyé en Arménie le 29 juin et personne ne peut nous dire ce qu’il est devenu. Mon mari a été libéré et il vit désormais caché, de peur d’une nouvelle arrestation. Par ailleurs, je n’ai aucun signe de vie de nos deux autres enfants qui ont réussi à s’échapper d’un centre de déportation de Russie d’où on voulait également les expulser en Arménie.

Qu’avons-nous donc fait pour que notre vie bascule dans une spirale infernale qui creuse ses sillons d’horreur depuis maintenant 20 ans et qui ne veut toujours pas prendre fin ? Notre malheur tient en une phrase : nous étions une famille normale, unie et heureuse, jusqu’au jour où mon mari a été rendu coupable d’être né d’une mère azerbaïdjanaise.

Arrivée à Strasbourg, je croyais avoir atteint une civilisation qui marquerait enfin la fin de cette errance et d’une part de nos souffrances. Mais quand ils ont arrêté mon mari puis mon fils, je me suis trouvée transposée en Russie. Quand ils m’ont arraché mon fils à peine retrouvé en l’expulsant en Arménie, l’espoir dans un monde humain s’est définitivement éteint en moi. Depuis 20 ans, mon mari et moi avons tout supporté en pensant à nos enfants. Aujourd’hui, nous avons perdu leur trace, à tous les trois. Je vis chaque jour dans la crainte qu’on nous annonce que leur sang a ensanglanté notre terre d’origine ou cette grande terre hostile de la Russie. Mon mari ne veut plus vivre, il dit que tout est de sa faute. Moi, maintenant que mes enfants sont perdus, je ne trouve plus la force de le contredire. Tout cela est trop à porter pour des parents. Nous sommes une famille désintégrée. »

Un an plus tard, Anaït a des nouvelles de son fils qui a réussi à fuir à nouveau en Russie. Voilà ce qu’il écrit :

« Mes chers parents,

Pour moi, c’est comme si c’était hier le jour où on m’a arraché à vous, de façon forcée et si cruelle. Les policiers m’ont mis des menottes, comme si j’étais un criminel, en me mettant dans un avion à destination d’Arménie. Comprendront-ils, ceux qui ont pris cette décision, que par cet acte, ils ont livré une fois de plus un agneau aux loups ?

Je veux vous demander quelque chose que vous devez absolument faire : traduisez ma lettre et faites en sorte qu’elle soit lue par ceux qui sont responsables de mes souffrances afin qu’ils en aient des remords.

A mon arrivée en Arménie, j’ai été cueilli par les agents de la sécurité nationale. Pendant plus de deux mois, j’ai été emprisonné, battu chaque jour et on m’obligeait à me tenir debout durant des heures jusqu’à ce que je tombe dans l’inconscience.

Le crime dont ils m’ont rendu coupable est le sang de ma grand-mère azéri, Leïla, qui coule dans mes veines, comme si l’on pouvait choisir ses grands-mères. Mon deuxième crime est qu’en demandant l’asile à la France, j’ai porté atteinte à la réputation de l’Arménie. C’est seulement deux mois plus tard que j’ai été relâché à la condition que je taise les mauvais traitements subis et que je quitte l’Arménie dans les plus brefs délais.

C’est mon oncle qui a dû signer cet engagement et il m’a accueilli chez lui, le temps d’essayer d’organiser ma fuite d’Arménie. A peine deux jours plus tard, et malgré nos précautions, le voisinage a eu connaissance de ma présence. Ils sont arrivés, ils étaient tout un groupe, pour me battre cruellement, sous les yeux horrifiés de la femme et des enfants de mon oncle.

La raison est toujours la même : le sang des ennemis coule dans mes veines. Tu sais, maman, j’avais seulement 12 ans quand on a dû fuir notre maison mais parmi les agresseurs, j’ai reconnu tes anciens camarades d’école avec qui tu as étudié durant dix ans, j’ai aussi reconnu nos anciens voisins. On m’a transporté, inconscient, à l’hôpital où on a diagnostiqué une commotion cérébrale et quatre côtes fracturées.

Enfin, quelques jours plus tard, mon oncle a réussi à me faire fuir en Russie. Hélas, comme vous le savez, la Russie n’est pas non plus un lieu où des misérables comme nous peuvent avoir la vie sauve. Je vous embrasse fort.

Vartan, le 7 juin 2010


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